1/ CENDRILLON
L’œuvre de la chorégraphe Maguy Marin est très large et importante depuis les années 80 jusqu’à ce jour où elle présente sa dernière création en décembre à Créteil « 2017 ».
Ses pièces expriment depuis le début un engagement politique qui insiste sur l’importance du collectif.
Selon elle, les êtres humains partagent une communauté de destin que les individualismes forcenés de la société, la compétition, la recherche de la performance, la course à la consommation effrénée au prix de la mise à mal de l’écologie et les politiques économiques libérales cherchent à briser. C’est ce lien entre les hommes qui fonde leur humanité.
Pour autant elle ne décrit pas une vision idéalisée de l’humanité, la solitude, l’exil, les inégalités, les injustices, la maladie, la défaillance et la mort existent et font partie de son travail créatif.
Elle conçoit que parfois la vie ne fait pas sens et que face à l’énigme de la mort ce qui nous reste à faire est de vivre mais elle espère dans le collectif et nous engage à nous déplacer vers les territoires étrangers et inconnus où quelque chose peut advenir d’une meilleure connaissance de soi et d’un meilleur lien à l’autre.
L’influence d’une partie de l’histoire de la chorégraphe sur ses créations est indéniable. Fille d’immigrés espagnols communistes ayant fui l’avancée des troupes franquistes en 1937 durant la « retirada » vers la France elle connait le poids de l’exil et de la nostalgie mais aussi la force du groupe qui soutient dans les épreuves.
A la demande de l’Opéra de Lyon, dans les années 80 et 90, Maguy Marin a créé deux pièces Cendrillon et Coppelia qui empruntent aux contes et légendes leur inspiration mais qui dessinent aussi des figures du féminin qui intéressent la psychanalyse.
Depuis ses origines, la psychanalyse s’intéresse aux contes, légendes, mythes, il suffit de regarder la place qu’à donner Freud au mythe d’Œdipe afin de traduire les fantasmes, conflits et souhaits inconscients inhérents à la psyché humaine.
Dans son article sur « l’inquiétante étrangeté » Freud s’appuie sur le conte de « l’homme au sable » et les automates. Un automate est une poupée articulée mécaniquement qui emprunte aux humains des expressions et des mouvements. L’automate peut ressembler au vivant mais n’est pas le vivant et peut convoquer chez nous un sentiment « d’inquiétante étrangeté ».
Dans le ballet Coppelia d’Arthur Saint Leon, sur une musique de Leo Delibes, d’après le conte d’Hoffmann « l’Homme au Sable », le Docteur Coppelius souhaite fabriquer un automate avec une âme. La pièce met en scène un fantasme de « toute puissance » ; rendre l’inanimé vivant ; se prendre pour Dieu et non pour un humain, donner la vie passe en général par la sexualité pour les humains. Dans la version de « l’Homme au sable » le Docteur Coppelius veut donner une âme à son automate.
Cendrillon a été largement commenté par Bettelheim dans sa «Psychanalyse des contes de fées ». Il y décrit une jeune fille en deuil de sa mère, couverte de cendres, délaissée par son père à une marâtre aigrie et jalousée par ses deux demi-sœurs.
Dans le conte, cendrillon est protégée par sa marraine (en place de substitut maternel). C’est une fée avec des pouvoirs magiques. Elle est celle qui écoute et console Cendrillon. Cendrillon peut se réfugier auprès d’elle, la marraine la voit telle qu’elle est sous ses cendres. Dans la pièce de Marin, Cendrillon la sort d’un coffre à jouets du fond d’un grenier dans cette maison de poupées où la pièce est transposée.
Dans l’interprétation de Maguy Marin, les références à la sexualité et à la question des enfants de « comment on fait les bébés » est présente, déjà dans les cris des bébés entendues le long de la pièce entre deux morceaux de musique, et bien entendu à la fin avec le défilé des bébés qui suivent Cendrillon et le Prince.
Bettelheim expliquait que la pantoufle de verre renvoyait directement à une métaphore du vagin. Le Prince cherche Cendrillon avec la pantoufle laissée au bal ; Il essaye de la passer à plusieurs jeunes filles mais cela ne convient pas. Certaines scènes du ballet chorégraphié par Maguy Marin ont explicitement de références sexuelles : les danses des princesses orientales et espagnoles ; les essayages par les demi-sœurs de Cendrillon sous la direction autoritaire de la Marâtre décrivent une tentative de coït. Il faut bien trouver «chaussure à son pied » dit le dicton populaire en parlant de la rencontre amoureuse.
En cela elle s’inscrit dans le travail de Freud pour qui la sexualité est présente dès l’enfance sous une forme non génitale mais présente, ainsi que dans le psychisme de l’enfant.
Ainsi Maguy Marin s’éloigne d’une tradition « angélique » du conte de fée où la sexualité ne se dit pas puisque il s’adresse aux enfants. Elle prend également ses distances avec le style du ballet classique et romantique pour faire danser les interprètes avec des masques et des costumes aux formes disgracieuses.
La chorégraphe fait porter aux danseurs et danseuses des masques et des perruques et à certains et certaines des combinaisons très grossissantes qui les rendent grotesques comme pour la marâtre et les demi-sœurs de Cendrillon, manière d’identifier rapidement qui sont les bons des méchants.
Déjà Bettelheim avait souligné la violence des sentiments et des désirs présents dans les contes, loin de l’imagerie à l’eau de rose des films de Disney. Pour Cendrillon, la jalousie, la haine, le mépris et aussi l’ambivalence. Cendrillon peut aussi symboliser tout le passage de l’enfance à la puberté avec l’effraction du sexuel.
Marin présente la marraine de Cendrillon comme un substitut maternel phallique disposant de nombreux pouvoirs (celui de lui permettre d’aller au bal parée comme une princesse avec un carrosse, des chevaux et un équipage et les fameuses pantoufles de verre rouges dans cette version…) elle se dresse dans le ballet brandissant sa baguette de fée, instrument magique métaphorisant le phallus imaginaire.
Cendrillon passe par toutes les étapes qui lui sont imposées afin de parvenir à épouser le prince. Autant d’étapes qui marquent un processus d’initiation ou bien du passage de l’enfance à l’âge adulte ou bien d’un passage œdipien de la petite fille ayant à renoncer à son père mais aussi à sa mère et donc faire ces deuils pour pouvoir aimer un autre étranger à sa famille. La fille aux cendres.
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