SOIREE ANIMEE PAR
MARC ANTOINE BOURDEU
Un cycle de rencontres Danse et Psychanalyse à Espace Analytique.
Rencontre avec le chorégraphe
ALAIN PLATEL
Nous nous retrouvons ce soir pour une deuxième rencontre de Danse et Psychanalyse d’Espace Analytique. L’invité de notre première rencontre de juin 2017 était le chorégraphe Jérôme BEL avec sa pièce « Disabled Theater ». Cette soirée avait permise des échanges très riches sur les thèmes de la non performance, de la différence, des vulnérabilités et des fragilités.
L’objectif de ces rencontres est de créer par des conférences, des débats[maB1] , des discussions, un dialogue entre la danse et la psychanalyse.
Nous invitons donc des chorégraphes, des danseuses, des danseurs, des gens de la danse sous ses formes plurielles pour dialoguer avec nous autres psychanalystes.
Espace Analytique a une tradition d’établir entre la psychanalyse et la culture des passerelles et des ponts. Pour nous autres à la suite de Freud et de Lacan nous pensons que la psychanalyse s’inscrit dans le champs de la Culture.
Espace Analytique dialogue ainsi avec les domaines de la littérature, de l’art, du théâtre, du cinéma, de la musique et maintenant de la danse.
Nous poursuivons nos rencontres avec Alain Platel qui a accepté notre invitation et nous le remercions d’être venu de Gand pour discuter avec nous de son travail artistique et de sa pièce Tauberbach dont nous allons voir des extraits tout à l’heure.
Je vous ai contacté Alain Platel car je suis très intéressé tout d’abord par le sens de votre travail car il me semble que vous placez l’humain dans ses dimensions les plus fragiles au centre de votre travail et que notamment dans Tauberbach vous nous faites part de votre question « Comment sur vivre ou vivre avec dignité dans des conditions terribles »…..
J’ai l’impression que l’une de vos réponses pour pouvoir vivre, respirer, être, même dans les environnements, les milieux, les zones géographiques du Monde les plus difficiles, la culture est votre réponse…Cela passe par la danse, le théâtre, le chant, la musique, les musiques du monde, le cirque… et bien entendu la musique de Bach. Votre autre réponse c’est le rapport entre l’individu et le groupe, l’«être ensemble », vous nous montrez que si l’homme est seul il n’est pas tout seul.
Je vous ai contacté d’autre part pour le travail que vous faites sur la question du langage et de l’indicible, ce qui ne peut pas être dit avec les mots quand les émotions sont trop fortes.
C’est vraiment une question qui intéresse les psychanalystes cette question de la parole, du langage et du corps. Freud s’y est intéressé très vite à Paris avec Charcot en soignant les hystériques puis en les écoutant. Ce qu’elles ne pouvaient dire, elles le convertissait dans leur symptômes s’inscrivant sur leurs corps. Ce sont elles qui ont permis que Freud invente la psychanalyse en les écoutant mettre des mots sur leurs symptômes, elles dévoilaient ainsi l’écriture d’un message inconscient secret et refoulé.
On aurait tort de penser que d’un coté il y a le corps et de l’autre la parole.
La danse, traditionnellement la danse c’est le mouvement du corps, elle n’est pas silencieuse non plus, le mouvement c’est de la parole. La chorégraphe Pina Baush ne s’y est pas trompé avec son « Tanz Theater » le théâtre dansé. Alain Platel vous suivez dans cette voie en incluant dans vos pièces des textes et des comédiens qui les disent, et des micros pour prendre la parole, ce n’est pas un hasard que vous ayez rendu un hommage à Pina Bausch dans votre pièce « Out of context for Pina ».
Enfin Lacan suite à Freud à bien établit que le corps était pris dans le réseau des signifiants du sujet et il l’aborde dans les trois registres fondamentaux de son enseignement : à savoir le réel, l’imaginaire et le symbolique. Le corps c’est donc aussi du signifiant et du langage, il peut être imaginarisé et symbolisé et il est pris pour partie dans un réel qui lui n’est pas symbolisable ni imaginarisable. Lacan s’est bien entendu très fortement intéressé au langage comme vous le savez.
La question de tout ce qui ne peut être dit avec les mots traverse votre travail Alain Platel. C’est difficile de résumer votre parcours mais je peux évoquer des points qui me semblent importants pour vous mieux vous connaitre.
Vous avez été dans une première vie professionnelle orthopédagogue de formation auprès d’enfants en difficulté à l’Hôpital psychiatrique d’Armentières. J’ai lu que vous vous étiez intéressé pour votre travail artistique aux travaux du psychiatre flamand Arthur van Gehuchten et à ceux de Fernand Deligny qui a travaillé à la clinique de la Borde fondée par Jean Oury.
Peut-être cette expérience est-elle venu nourrir dans vos créations les questions liées à la difficulté de dire avec les mots, à s’exprimer, mais aussi est-elle venue parler de la souffrance d’exister, de la solitude. Sans doute de cette expérience est venu la possibilité de pouvoir traduire par les mouvements, par les corps, l’impossible à dire, à symboliser, ce qui ne peut pas être dit.
Mais aussi très jeune vous avez suivi des cours de mime, peut-être là aussi pour faire exister un autre langage que passer par les mots quand ils sont trop difficiles à énoncer.
Vous avez fondé en 1984 à Gand d’où vous êtes natif, en autodidacte, un collectif les Ballets CdelaB pour les Ballets Contemporain de la Belgique. C’est un espace de création collectif où plusieurs chorégraphes y confrontent leur points de vue, les danseurs participent au processus de création, des artistes apportent leurs idées et leurs visions. Sidi Larbi Cherkaoui et Koen Augustijnen y ont fait leurs débuts.
Dans vos créations vous mêlez souvent Musique, Théâtre, Chant ou Cirque. Parfois vous lâchez même des chiens comme dans la pièce « Wolf » en 2003.
La musique baroque est très présente dans vos pièces celles de Monteverdi, Bach, Mozart tiennent une place importante dans vos créations et ce depuis le début comme avec « Stabat Mater » avec Scarlatti et Bach dans « lets op bach » et bien sur TAUBERBACH dont nous allons voir des extraits.
Ainsi si il y avait un fil rouge à tirer par rapport à votre œuvre ce pourrait être la musique et surtout la musique baroque qui accompagne la grande difficulté à dire des émotions trop fortes concernant la solitude, la misère et la souffrance humaine dans des environnements difficiles, dans un monde d’hyper consommation, dans une société mondiale qui relègue de plus en plus ses exclus aux marges de celle-ci dans des territoires de non-droit laissés à l’abandon, au désespoir, aux prédateurs de toutes sortes. Dans vos pièces comme Pitié, VSPRS et bien sur Tauerbach la musique baroque, la danse, le théâtre, la culture veulent s’opposer à ces situations par la joie, la dignité et le lien avec l’autre qu’elles peuvent offrir.
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