L’INVENTIVITE EN PSYCHANALYSE D’ENFANTS, Effets de transmission dans la
clinique.
Journées du 21 et 22 mars d’ESPACE ANALYTIQUE sur l’inventivité en
psychanalyse.
Les journées d’Espace de Mars sont placées sous le signifiant de l’inventivité,
Freud avait assigné à chaque cure deux taches conjointes soigner et chercher et Lacan demandait à ce que chaque analyste réinvente la psychanalyse.
La consultation ouverte des Buttes Chaumont aux enfants animée par Catherine Saladin et fondée par Catherine Vanier se situe dans la transmission de celle que tenait Françoise
Dolto à l’Hôpital Trousseau. J’ai essayé de rendre témoignage de mon expérience dans cet espace de consultation ouverte aux enfants et de retrouver quelques moments qui m’ont marqués et qui me servent de points de repères pour ma clinique avec les enfants et avec les adultes.
En effet à cette époque j’étais déjà installé comme analyste mais je ne travaillais qu’avec des patients adultes. Les avancées de mon analyse personnelle m’ont permis d’envisager un travail psychanalytique avec les enfants, j’ai rencontré alors, dans cette expérience de la consultation ouverte, la psychanalyse d’enfant et mon premier patient enfant.
Je voudrais citer Freud, l’inventeur de la psychanalyse, il écrit ceci dans une note de bas de page dans les trois essais sur la théorie sexuelle au chapitre sur les Métamorphoses de la puberté : « Je dois l’explication de l’angoisse enfantine à un garçon de 3 ans que j’entendis supplier un jour du fond d’une chambre obscure « Tante parle moi !; j’ai peur parce qu’il fait si noir » la tante répliqua « A quoi cela te servira t-il puisque tu ne peux pas me voir ? » « Ca ne fait rien répondit l’enfant du moment que quelqu’un parle il fait clair » Il n’avait donc pas peur de l’obscurité, mais parce qu’il lui manquait une personne aimée, et il pouvait promettre de se calmer dès qu’il aurait reçu la preuve de sa présence.
Freud n’a pas reçu beaucoup d’enfants, hormis le petit Hans, encore que ce travail s’est effectué beaucoup avec le père de Hans, mais on sent dans cette citation une grande écoute et attention aux enfants.
Une consultation ouverte ca se passe à plusieurs, l’analyste en charge et les analystes en formation, puis l’enfant et ses parents, le travail de la consultation ouverte se fait à plusieurs, avec un transfert pluriel, le transfert de l’enfant, le transfert des parents, le transfert de Catherine, le transfert des analystes présents. Françoise Dolto, à propos du dispositif de la consultation ouverte de Trousseau, disait que c’était comme le chœur antique de la tragédie grecque. Baudelaire dans les Paradis Artificiels nous dit que le chœur de la tragédie grecque exprime les pensées secrètes du principal personnage, secrètes pour lui-même ou imparfaitement développées et lui présente des commentaires, prophétiques ou relatifs au passé, propres à justifier la providence ou à calmer l’énergie de son angoisse…
Le premier souvenir qui m’est revenu après les années qui ont passées concerne la place du dessin dans la psychanalyse avec les enfants et de son interprétation. Comme analyste d’adulte le dessin ça ne me parlait pas. Nous avons travaillé ce point dans la consultation ouverte. Certains dessins amenés par les enfants de la consultation ouverte était très explicites et nous mourrions d’envie de dire « c’est ça » ou bien « cet enfant il à voulu exprimer cela ». C'est-à-dire de gamberger autour du dessin de l’enfant.
Je me souviens de cette séance de travail où Catherine Saladin nous a parlé du travail de cette analyste d’enfants, Sophie Morgenstern à partir de son livre « Psychanalyse infantile, Symbolisme et valeur clinique des créations imaginatives chez l’enfant, publié en 1937 » où elle expose les dessins d’un patient qu’elle appelle Jacques et qui était mutique. Elle disait
« Ayant constaté que l’unique moyen d’expression de Jacques était le dessin, je l’ai employé pour le traitement. » Encore fallait il l’inventer, nous sommes avant 1937, et le dessin prend sa place dans la psychanalyse d’enfant comme matériel d’analyse et d’interprétation de la vie fantasmatique des enfants au même titre que les rêves pour la psychanalyse d’adultes, c’est la capacité inventive de la psychanalyse avec les enfants, ils nous obligent à inventer.
Avec ce traitement Les conflits inconscients ont pu être dénoués et l’enfant mutique a pu reprendre la parole. Il a terminé son traitement avec S. Morgenstern en reprenant un à un tous les dessins qu’il avait faits et les a commentés avec elle, par la parole bien sur. Pendant tout le temps d’avant Sophie Morgenstern attendait patiemment en étant simplement avec l’enfant qui dessinait. « Un dessin c’est plus que l’équivalent d’un rêve, c’est en soi même un rêve ou si vous préférez un fantasme vivant » c’est que écrivait Françoise Dolto dans « Tout est langage en 1987 ». Le dessin est donc une voie d’accès à l’inconscient, comme le rêve pour Freud était la voie royale pour le traitement des névroses d’adultes. Le dessin permet donc à l’enfant en analyse de mettre en image et ensuite en mots son histoire.
Nous avons donc appris à attendre. Les dessins ne peuvent être interprétés qu’à partir des associations propres aux enfants, tout comme les rêves des adultes s’interprètent à partir des associations du rêveur. Sinon nous faisions aux enfants ce que leur parents et les adultes font tout le temps, c’est à dire nous parlons à leur place.
A la consultation ouverte, j’ai aussi fait la connaissance de mon premier patient enfant, un jeune garçon de 6 ans que sa mère amenait, elle avait demandé un rendez vous à la fois parce que l’école avait suggéré qu’il consulte un psychologue pour des difficultés de concentration en classe et parce qu’à la maison il était insupportable avec sa mère. Il se disputait violement avec elle, pouvait la battre, essayer de la gifler, crachait sur elle, n’en faisait qu’à sa tête enfin c’était très difficile entre cette mère et ce garçon.
Bien entendu lors des séances de la consultation il reproduisait tous ses comportements là avec nous mais parfois il arrivait à s’apaiser et pouvait même dessiner. En repensant à lui pour ces journées d’Espace, j’ai ressorti tous ces dessins. La plupart représentait un grand personnage accompagné d’un petit. Il faisait toujours des bouches énormes à ce grand personnage, une bouche grande ouverte dentées et ensanglantées, je me retenais de dire
quoique soit, car de toute façon il ignorait mes questions. Un jour il a redessiné ce personnage avec cette bouche immense, un bras qui se terminait par un œil, les membres détachés du corps et sur le ventre un petit personnage difforme et malingre. Je n’ai pas pu me retenir de lui demander, c’est qui ce bébé ? Du tac au tac il m’a répondu « tu ne vois pas que ce n’est pas un bébé, c’est un squelette sur son ventre ! ». C’est sans doute comme cela qu’il se voyait porté par sa mère là ou je voyais un bébé il voyait un squelette. Séance après séance en l’écoutant dessiner sans trop parler et intervenir mais en étant vraiment là pour lui au moment de sa séance, il me semble que le squelette a repris chair et vie.
Cet enfant m’a appris à attendre que la parole puisse advenir, il m’a appris la patience et l’attente dans le soutien du désir qu’il y ait analyse, et c’est évidemment transposable à la psychanalyse avec les adultes.
Dans cette consultation ouverte j’ai appris la place des parents dans la psychanalyse d’enfant. Je suis allé relire Maud Mannoni, puisque nous sommes à Espace, « l’enfant, sa maladie et les autres » elle dit ceci sur la psychanalyse d’enfant « comme analyste nous nous trouvons aux prises avec une histoire familiale. L’évolution de la cure est en partie fonction de la manière dont une certaine situation est appréhendée par nous. L’enfant qu’on nous amène n’est pas seul, il occupe dans le fantasme de chaque parent une place déterminée. L’enfant ne peut être isolé artificiellement d’un certain contexte familial. Il nous faut au départ compter avec les parents, leur résistance et la notre, le transfert des parents, celui de l’enfant et le notre ».
Je repense à ce garçon dont j’ai évoqué les dessins tout à l’heure et à son contexte familial. Évidemment la situation familiale était compliquée, la mère avait conçu cet enfant avec un homme dont elle ne souhaitait aucunement partager la vie, elle s’était questionnée pour savoir si elle gardait l’enfant et avait choisit de le garder. Le père qui était anglais se partageait entre la France et son pays. La mère le décrivait comme un homme emporté et colérique, dangereux. Craignant pour son enfant lors des entrevues avec le père, elle avait obtenue une décision de justice qui nécessitait la présence d’un tiers lors de ces entrevues. En fait ce sont les grands parents paternels qui remplissaient cette fonction de tiers.
Pour suivre Lacan, la fonction de la « métaphore paternelle » était peu en place pour ce garçon à la fois du coté maternel et paternel. La mère avait peu de liens avec sa famille, fâchée avec son père, sa mère était atteinte d’une psychose maniaco-dépressive vivait avec sa jeune sœur, elle ne les voyait plus. Le père était en difficulté d’insertion socio professionnelle avec des problèmes d’alcoolisation importants. Les grands parents paternels soutenaient leur fils lui permettant de voir son fils, leur petit fils, de temps à autres, toujours en leur présence. Ce garçon était très agité dans la salle de consultation, déplaçant tous les objets et les jouets, se cachant derrière les rideaux des portes, se mettant sous la table. Au début de ce travail il était important d’entendre la mère seule, nous n’avions par ailleurs pas de contact avec le père, aux abonnés absents.
Comme il était difficile de séparer l’enfant de la mère ce qui était leur problématique au fond, et que ensemble en salle de consultation il était impossible d’écouter la mère tant l’enfant était insupportable et qu’il n’acceptait pas de rester seul en salle d’attente, nous lui avons demandé avec qui il voulait rester et il me choisit. Il a fallu faire preuve de cette inventivité là pour que le travail analytique puisse se mettre en place. A partir de là un transfert s’est installé, il m’avait choisit pour rester avec lui, peut être parce que j’étais le seul homme parmi les analystes présents, mais j’ai appris plus tard que son père et moi avions en commun un prénom, peut être partagions nous également d’autres signifiants.
Dans cette salle d’attente, le garçon adoptait un comportement à l’inverse de ce qui se passait dans la salle de consultation, sage, calme, apaisé, il choisissait un livre de dessins et me demandait de le lire avec lui ou bien me parlait de son école. A nouveau revenu en salle de consultation il se remettait en transes en tournant assis par terre sur lui-même. Que nous donnait-il à voir ? Je pense que cela venait nous parler de la « folie » qu’il pouvait y avoir entre sa mère et lui, sa folie à elle et sa folie à lui, comment il pouvait rendre sa mère folle mais aussi comment elle était folle avec lui. Sans doute aussi cherchait-il à ressembler à son père en étant aussi insupportable, telle que sa mère en parlait. Peut être voulait il lui dire à elle qu’il n’était pas si différent de son père finalement, et donc était il digne de son amour à elle ?
J’ai suivi par la suite cet enfant à mon cabinet, la mère et l’enfant étaient d’accord pour continuer ce travail commencé à la consultation ouverte. Il y a eu un virage important par rapport au père. J’avais remarqué que depuis quelques séances il laissait régulièrement dans ma boite à lettre des figurines ou images de footballer. Je ne connais pas bien le football. Mais un jour à sa séance je lui demandais pourquoi cela et ce que c’était. « Ah ben t’as pas reconnu les joueurs de Manchester et de United ? et de me donner un par un tous les noms de ces joueurs ». Pensant qu’il me parlait de son père je lui demandais si il voulait que j’écrive à son père pour lui dire que nous travaillions ensemble. Son visage s’est éclairé et il m’a donné son autorisation. Par sa mère j’ai pu avoir les coordonnées des parents du père et j’ai donc écrit cette lettre ou je l’informais que je recevais son fils en psychanalyse avec mon téléphone. Très vite le père m’a appelé pour me demander des nouvelles du fils et me confirmer qu’il était d’accord pour la poursuite du travail analytique de son fils. L’enfant avait inventé une manière de me parler de son père « hors séance », j’ai du inventer une manière de ramener le père dans la cure.
De ce jour quelque chose a changé. Cet enfant avait cessé en séance de jouer au « fou ». Quelques temps après il y a eu un déménagement et la cure s’est arrêtée mais j’ai eu des nouvelles il y a quelques mois où sa mère me disait qu’il allait bien.
Pour finir, j’ai envie de rappeler une nouvelle fois que la psychanalyse d’enfant n’est pas un domaine séparé de la psychanalyse. J’ai lu que Françoise Dolto disait que « l’analyse d’enfant c’est le travail fait par un analyste avec un enfant ». Là ou il y a un analyste il y a de la psychanalyse.
Cette rencontre avec le travail psychanalytique avec les enfants dans une consultation ouverte a été essentiel pour un analyste qui travaillait jusque là avec des patients adultes. Cela m’a amené à réfléchir et ré élaborer pour moi la position de l’analyste que ce soit avec des enfants ou des adultes.
En effet avec la psychanalyse d’enfants l’analyste est ramené très immédiatement et directement à sa propre enfance. Le dispositif induit cela : les jouets, les feutres, les dessins, les poupées, les poupons, les chevaliers et les princesses, les jeux à inventer avec l’enfant, se mettre à quatre patte avec lui parfois pour jouer et incarner un personnage, le langage de l’enfant, ses références et ses intérêts…mais aussi bien sur l’enfant et ses parents.
Il faut pouvoir se mettre là ou est l’enfant pour que nous puissions l’écouter et qu’il puisse nous parler. Et donc dans le transfert il faut pouvoir laisser librement sa propre enfance résonner, parler, associer pour que nous puissions entendre celle de l’enfant. L’enfant convoque l’analyste à l’écouter à partir de ce lieu là. Bien sur il s’agit de cela aussi dans la psychanalyse d’adultes. Il me semble que le travail avec les enfants permet d’écouter les adultes qui viennent nous parler de leur enfant en eux et de leur enfance dans une dimension de jeu. Jeu analytique bien sur. Nous pouvons jouer sur la scène inconsciente, dans le transfert, les différentes places que nous sommes invités à occuper dans les scénarii inconscients de la cure du patient. J’allais dire jouer ces différents rôles, de s’amuser à les jouer, pour reprendre le parallèle avec la psychanalyse d’enfants, sans en être dupes, de manière à ce que l’analyse ait lieue, en pouvant supporter le transfert.
Alain Vanier lors des journées sur l’enfant d’Espace Analytique, dans son article sur l’enfant objet a, écrivait que l’expérience d’un travail avec les enfants est indispensable comme celle avec les psychotiques pour tout analyste qui s’engage dans la pratique de la psychanalyse.
En ce sens une expérience telle que la consultation ouverte avec les enfants d’Enfance en Jeu me semble être un des maillons indispensables de la formation des analystes avec bien entendu sa propre analyse et la supervision.
Marc Antoine Bourdeu
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